RECHERCHES
Tisser c’est apprendre la patience. C’est accueillir et vivre pleinement le temps, le regarder se matérialiser, lui donner jour dans la durée de l’action de gestes silencieux. Parce que tisser, c’est aussi apprendre à écouter, à faire l’économie du superflu et se donner l’occasion de retrouver l’essentiel.
A l’image des fileuses mythologiques, qui tenaient entre leurs mains le destin des hommes en leur imposant l’existence de la naissance, de la fatalité et de la mort, l’artiste explore les confins et les champs de la création : de son début à sa fin.
Dans un jeu de constructions visuelles, le récit des origines se découvre. Le geste antique de la femme tisseuse se remet en action et nous raconte l’Histoire. Celle du monde, de l’homme ou encore, notre propre histoire. Tisser devient alors une action de construction, l’organisation d’une trame, qui traverse le temps et l’espace en suivant l’évolution personnelle des réflexions de l’artiste. Le temps devient un élément créateur. L’espace visuel qui en découle devient méditatif, presque idéal, philosophique. Les gestes du tissage ne sont plus associés au savoir faire mais se ritualisent- en quelque sorte- pour faire naître des œuvres contemplatives qui permettent alors la cohabitation d’antagonismes universels ; comme la naissance et la mort, le vide et le plein, l’immobilité et l’action, le fini et l’infini.
Les travaux présentés à l’occasion de « Recherches 17 » témoignent de ces réflexions. L’artiste se fait ainsi témoin de l’expérimentation des structures en revisitant le rapport au métier à tisser comme structure portante. Elle interroge aussi le statut de l’œuvre tissée en abordant le jeu de vide et de plein et en repensant l’installation comme une mise en volume de l’objet et de la surface plane indissociable du tissus dans un espace donné. De la matière, elle en fait une approche intime en la pénétrant et en la considérant comme une entité vivante avec laquelle elle entre en interaction. L’ensemble de la gestuelle se ritualise et les contacts avec la matière font naitre des émotions et des savoirs que l’artiste imprime dans ses créations. Par leur puissance poétique, les œuvres ainsi créées, ouvrent de nouveaux terrains d’expérimentation qui tentent de décloisonner le côté technique du savoir-faire pour s’inscrire dans la multitude du contemporain.
Cette multitude nous la retrouvons- sous une autre forme- dans le tapis « l’Arbre de vie ». Symbole de la force de la vie et de ses origines, cet arbre est ici cloisonné dans une trame d’où émergent de courts énoncés visuels. Mis ensemble, ils sont capables de structurer un récit. Isolés, ils fonctionnent comme autant de métaphores renvoyant aux origines, à la connaissance et que l’artiste nous transmet, perpétuant la tradition du geste créateur et porteur de savoir.
De ces entremêlements naissent des résonnances, se créent des réseaux d’effets visuels narratifs qui informent sur l’histoire du monde et sur la relation que l’artiste entretient avec le temps. Ce temps qu’elle cherche ici à structurer, à matérialiser ou encore à mesurer dans cette installation plurielle performative, rappelant dans une esthétique visuelle forte et symbolique, ces instruments de mesure du temps que sont la clepsydre et le pendule. Encadré par cette masse solide, personnifié par la présence de plantes, sondé par ces oscillations et par l’intervention de l’artiste elle-même, le temps dans son cycle permanent s’est ainsi laissé prendre.
Précieux et presque intouchables, d’autres scènes isolées et fluctuantes, comme des cartes à jouer, ont le pouvoir de se laisser transporter dans l’espace d’exposition. Hasard et destinée se rencontrent par l’intervention du spectateur, qui devient lui aussi acteur de cette dramaturgie textile, comme pour perpétuer indéfiniment ce lien qui nous relie.
Coline Franceschetto
Oeuvres réalisées dans le cadre de la recherche au TAMAT, Centre d’art contemporain du textile de la Fédération Wallonie-Bruxelles
©Decobecq